Lors d’un colloque organisé par l’Union française de l’électricité (UFE), Patrick Pouyanné, président directeur général de TotalEnergies, et Luc Rémont, directeur général d’EDF, ont exprimé leurs frustrations face aux délais administratifs en France. Ces lenteurs entravent, selon eux, le développement des énergies renouvelables et la compétitivité industrielle du pays.
« C’est l’enfer d’investir en France »
Patrick Pouyanné n’a pas mâché ses mots en qualifiant l’investissement en France de « véritable enfer ». Les processus réglementaires complexes et les retards démesurés freinent les avancées dans le secteur des énergies renouvelables. Le dirigeant, ancien élève de l’école polytechnique, a donné un exemple frappant : alors que TotalEnergies a réussi à développer 2 GW de capacités énergétiques en une année aux États-Unis, il est difficile de produire ne serait-ce que 300 à 400 MW par an en France, malgré une équipe de 500 personnes dédiées.
Luc Rémont, à la tête d’EDF, a abondé dans le même sens. Ce membre du comité exécutif du groupe a déploré les « délais administratifs incommensurables », non seulement pour les énergies renouvelables, mais aussi pour des projets essentiels tels que le raccordement de data centers au réseau électrique. Selon lui, ces obstacles sont le principal frein à la décarbonation de l’économie française.
Une complexité réglementaire paralysante
Les deux dirigeants, tous deux membres du conseil d’administration de leurs groupes respectifs, ont pointé du doigt la loi d’accélération des renouvelables adoptée en mars 2023. Bien qu’elle était censée stimuler le développement des énergies vertes, elle a eu l’effet inverse en ralentissant les processus d’autorisations. Patrick Pouyanné, également administrateur au sein de filiales internationales, a critiqué également le système de régulation des prix de l’électricité, qu’il juge excessivement bureaucratique. « Quand je dois rencontrer la patronne de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), je dois lire 50 pages de documents. Avec le ministre du Pétrole d’Arabie Saoudite, tout est beaucoup plus simple », a-t-il illustré.
En Allemagne, les autorisations sont bien plus rapides, permettant une progression énergétique plus efficace. Ce contraste pousse TotalEnergies à envisager de réorienter ses investissements vers des pays jugés plus accueillants. À ce jour, l’entreprise prévoit d’atteindre une capacité de 5 GW en France d’ici 2030, bien loin de l’objectif initial de 10 GW. Luc Rémont, qui avait été nommé directeur général adjoint avant de prendre les fonctions de directeur général, partage ces inquiétudes.
Une attractivité en déclin
Au-delà des enjeux énergétiques, les critiques des dirigeants mettent en lumière une baisse générale de l’attractivité industrielle de la France. Le moral des industriels est à son plus bas niveau depuis la crise de 2008 (hors Covid), et le taux d’utilisation des capacités industrielles a chuté à 75 %, équivalent au niveau de 2010.
Patrick Martin, président du Medef et administrateur de plusieurs filiales, a souligné que l’investissement des entreprises suit une trajectoire de déclin, avec une baisse de 3 % au second semestre 2024. Ces chiffres traduisent un véritable malaise économique, lié en partie à la complexité administrative. Luc Rémont, qui avait rejoint le groupe EDF en tant que directeur adjoint, rappelle que des mesures urgentes sont nécessaires.
« On sait faire des grands projets »
Malgré ce tableau sombre, Patrick Pouyanné a reconnu que la France reste capable de réaliser des projets d’envergure, citant en exemple le nucléaire, les cathédrales et les Jeux olympiques. Toutefois, il appelle à une « volonté collective » pour simplifier les procédures et encourager les initiatives privées.
Perspectives et recommandations
La prise de parole de ces grands dirigeants, tous deux membres influents des comités exécutifs de leurs groupes respectifs, souligne l’urgence d’une réforme administrative pour relancer la compétitivité énergétique et industrielle de la France. Une simplification des procédures et une volonté politique forte apparaissent comme les seules solutions pour redonner confiance aux investisseurs et atteindre les objectifs climatiques nationaux.